Loi sur les propos haineux jugée inconstitutionnelle
Par Joseph Brean,
National Post
Mercredi, 2 septembre, 2009
Traduction: PdeBascule
Un juge du Tribunal canadien des droits de la personne déclare inconstitutionnel le fameux article 13(1) de la Loi canadienne des droits de la personne. L’article, qui interdit les propos haineux, a été très souvent critiqué au Canada. Le tribunal estime qu’il viole le droit à la liberté d’expression parce qu’il prévoit des amendes.
Cette étonnante décision du juge Athanasios Hadjis laisse en suspens plusieurs causes et semble abolir l’un des mandats les plus controversés de la Commission canadienne des droits de la personne, soit traquer les propos haineux sur Internet: un mandat qu’elle a toujours défendu vigoureusement contre les accusations de censure.
Cette décision est le premier écueil que rencontre l’article 13(1) adopté dans les années 60 pour lutter contre les tribunes téléphoniques à caractère raciste. En 2001, il a été modifié pour inclure l’Internet et au cours des dix dernières années, il a été invoqué exclusivement par un activiste d’Ottawa, l’avocat Richard Warman.
C’est aussi une victoire importante pour Marc Lemire, responsable du site freeedomsite.org et personnalité de la droite canadienne.
La réaction publique à cette décision se divise entre ceux qui louent «l’audace» du juge Hadjis et ceux qui qualifient sa décision de scandaleuse. Cette polarisation témoigne de la confusion qui entoure l’éternel débat sur le discours haineux au Canada.
On prévoit maintenant que la Commission des droits interjettera appel devant la Cour fédérale. Une autre possibilité, moins probable, est que le Parlement abroge ou amende l’article 13 qui, de l’avis même de ses partisans, doit être mis à jour à cause de l’importance qu’a prise Internet dans le domaine des communications au cours des dernières années.
Marc Lemire est plus réservé sur sa victoire. «Ce jugement marque la fin d’une loi vieille de 32 ans que personne n’avait réussi à bloquer jusqu’à présent. Mais j’ai consacré six ans de sa vie pour ce résultat. La longueur de la lutte est une punition en soi.»
Warman, un ex-enquêteur de la Commission des droits de la personne, a porté plainte contre Lemire en 2003, après avoir surveillé son site pendant près d’un an. Il a prétendu que certains propos sur le forum du site (la plupart écrits par d’autres) contrevenaient à l’article 13 parce qu’ils «exposaient selon toute vraisemblance» des groupes identifiables «à la haine ou au mépris».
Le juge Hadjis a estimé que presque tous les propos cités contre Lemire ne contrevenaient à la section 13 ou bien qu’on ne pouvait le tenir responsable des écrits d’autres personnes.
Il a cependant jugé qu’un texte intitulé «AIDS Secrets » écrit par un néo-nazi américain contrevenait bel et bien à cet article parce qu’il accusait les homosexuels et les noirs de répandre «un virus mortel» et de «détruire ainsi les vies d’enfants et d’adultes américains.»
Malgré cela, le magistrat n’a imposé aucune sanction à monsieur Lemire. Il constate que presque tous les propos jugés offensants ont été retirés avant ou peu après la plainte. Il considère que monsieur Lemire s’est «amendé» et qu’il s’est montré conciliant, mais note qu’on a quand même poursuivi l’examen de la plainte portée contre lui.
Parce qu’il préside un tribunal administratif, le juge Hadjis n’a pas compétence pour déclarer une loi inconstitutionnelle. Mais il peut refuser de l’appliquer s’il juge que cela est contraire à la Constitution.
L’article 13(1) reste donc valide. Sa constitutionnalité a d’ailleurs été reconnue par la Cour suprême du Canada en 1990, mais il faut dire que le jugement n’était pas unanime et qu’il a été rendu avant qu’Internet ne connaisse le succès que l’on sait.
En se prononçant contre le texte écrit par le néo-nazi John Ross Taylor, le juge Hadjis reconnaît lui-même que l’article 13(1) impose une limite acceptable à la liberté d’expression dans la mesure où il vise à corriger ou redresser une situation. Mais il souligne que «le caractère punitif qu’a pris la loi» constitue une limite injustifiable.
C’est en 1998 qu’on a adopté l’amendement autorisant l’imposition d’amendes pouvant atteindre dix mille dollars – payables au gouvernement. Le magistrat considère qu`à cause de ce changement, « la loi a perdu son caractère correctif, préventif ou conciliateur».
Richard Warman réclamait une amende de 7,500 dollars contre monsieur Lemire. Dans le passé, l’avocat a gagné une douzaine de causes en vertu de l’article 13(1). Plusieurs se sont terminées par des amendes, des restrictions à des activités sur Internet et des paiements qu’il a reçus.
La critique d’une loi punitive se faisant passer pour corrective fait écho aux critiques du professeur de droit Richard Moon embauché par la Commission des droits de la personne pour analyser son mandat de contrôle des propos haineux sur le Web. L’expert a conclu qu’un tel contrôle ne pouvait avoir lieu sans injustices et qu’il était préférable de l’abandonner complètement.
Commentant la décision qui vient d’être rendue, le professeur Moon la considère comme un moment significatif de l’histoire de l’article 13(1), mais observe qu’elle n’est pas totalement concluante notamment parce qu’elle n’établit pas de précédent. Néanmoins, dit-il, on doit maintenant en tenir compte d’autant plus qu’elle souligne sur un problème fondamental de la loi.
Pour Ezra Levant, un blogueur qui a fait campagne contre la loi des propos haineux, la décision « montre que la Commission des droits de la personne a agi illégalement depuis des années» et elle oblige le gouvernement conservateur à «à se prononcer» au sujet de la possibilité d’appel. «Si le gouvernement autorise un appel, il se rangera dans le camp des censeurs».
Pearl Eliadis, une avocate des droits de la personne et défenseur de l’article 13(1) estime que le juge Hadjis «s’est trompé». Selon elle, il aurait dû ne pas tenir compte de l’amende et maintenir la loi.
C’est aussi l’opinion de Bruce Ryder, professeur de droit constitutionnel à l’Université de York, qui estime cependant que le juge Hadjis a eu raison de souligner «l’effet paralysant excessif» de l’article 13 sur la liberté d’expression.
Mark Steyn, un essayiste conservateur, cible d’une plainte très médiatisée à la suite de propos publiés par le magasine Maclean, se réjouit de la décision du juge Hadjis. Pour lui, le magistrat «s’est rendu compte que l’article 13(1) n’a plus d’avenir à cause de l’attitude néo-nazie de la Commission des droits de la personne et de la sordide escroquerie de Richard Warman».
Il est clair, ajoute-t-il que l’article 13(1) n’a pas d’amis.
National Post
jbrean@nationalpost.com
Lire aussi:
Déclaration de Point de Bascule à propos de la plainte renvoyée par la Commission canadienne des droits (PdeB décembre 2008)