Un terrible héritage
Vingt-cinq ans plus tard, les familles des victimes d’Air India pleurent encore leurs proches, et le radicalisme sikh continue de prospérer au Canada.
Par David B. Harris,
Ottawa Citizen Special June 7, 2010
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Un corps est transporté d’un hélicoptère à l’aéroport de Cork, en Irlande, après l’attentat du 23 juin 1985, sur le vol 182 d’Air India en provenance de Montréal. Les habitants des villages côtiers entreprirent des efforts de sauvetage maritime de façon déterminée, mais malheureusement sans résultat, ils ont aidé à l’horrible récupération des restes humains, et ont ouvert leurs maisons aux familles endeuillées des victimes.
L’agitation et la tragédie ont balayé ce village tranquille du sud irlandais il y a un quart de siècle, alors que le destin – et le terrorisme fabriqué au Canada – l’ont à jamais lié à la catastrophe du 23 juin 1985 que fut l’explosion du vol d’Air India. Les habitants côtiers et même ceux de l’intérieur se précipitèrent avec détermination dans des efforts de sauvetage malheureusement vains; ils ont participé à l’horrible tàche de récupération des restes humains, ils ont accueilli dans leurs maisons les familles endeuillées des victimes et furent témoins de l’érection d’un monument à la mémoire des 329 morts du vol 182.
Bientôt, les cérémonies ici marqueront le 25e anniversaire de ce massacre de masse qui a été le plus important acte terroriste de l’histoire de l’aviation avant le 11 septembre 2001. Et bientôt aussi, toute cette tragédie sera réexaminée dans le rapport final tant attendu de la Commission d’enquête fédérale sur l’affaire Air India, sous la présidence de l’honorable juge John C. Major.
Tout au long de l’enquête, j’ai agi comme conseiller juridique auprès d’une organisation intervenant dans l’enquête officielle, la Coalition canadienne pour les démocraties.
Malgré trois décennies d’implication en matière de renseignements et d’affaires de contre-terrorisme, je n’étais pas tout à fait prêt à faire face aux émotions et à l’information révélée dans la preuve publique, non plus que dans les coulisses. L’expérience a renforcé mes préoccupations en regard de la sécurité du Canada.
Bien avant que ne débutent les audiences de l’enquête, j’ai parlé à beaucoup de survivants des victimes. Vous apprenez rapidement, dans la lutte contre le terrorisme, que les personnes qui survivent souvent aux victimes du terrorisme subissent toute leur vie douleur et désavantage: traumatisme psychologique permanent, problèmes de santé, pertes économiques et, souvent – en particulier chez les jeunes personnes à charge – un manque d’instruction, et peut-être même la pauvreté et la toxicomanie. Avec le courage des survivants et leur cran, c’est là le legs de l’attentat d’Air India.
Les témoignages de membres des familles devant la commission d’enquête ont révélé des histoires déchirantes.
Il y avait ce sikh doux qui, 20 ans plus tard, avait encore le visage gris plein de chagrin, laissant voir une vie complètement ruinée par la mort de sa femme. Il a dit qu’il a été déchiré par la conviction que lui, un produit traditionnel du vieux pays, n’avait pas les compétences pour bien nourrir et élever ses enfants maintenant devenus adultes, ajoutant ainsi à leur tragédie. Il était affligé aussi de la souffrance de savoir que c’étaient des coreligionnaires établis au Canada qui avaient placé la bombe à bord.
Il y avait aussi cette femme qui était si bouleversée par le décès de son mari et sa fille, qu’elle ne pouvait pas pleurer – jusqu’à ce que son fils, plusieurs années plus tard, échappe à un avion en flamme à l’aéroport international Pearson. Le jeune homme était sain et sauf, mais les pleurs interminables de cette mère ont intrigué les passants: «Ils ne savaient pas que je ne pleurais pas pour le fils qui était sauf, mais pour la fille que j’avais perdue. Pour la première fois en 20 ans, j’ai pleuré la la mort de ma fille et j’ai pleuré pour elle. “
Malheureusement, les craintes d’un «autre Air India» ne sont pas sans fondement. Après 1985, les Sikhs du Canada avec courage et avec beaucoup de succès ont riposté contre les radicaux. Cependant, l’approche de laissez-faire du Gouvernement fédéral face à ces défis et son palmarès de champion mondial du taux par habitant le plus élevé d’immigration, signifie que le Canada est en train de devenir un quartier général international de la réapparition du radicalisme sikh.
Ainsi, tandis que l’Inde elle-même ne semble plus avoir d’importants problèmes de radicaux sikhs, le Canada semble maintenant en avoir.
Des Sikhs modérés se plaignent qu’on présente des portraits de meurtriers soupçonnés de l’attentat d’Air India, sous les traits de “martyrs” dans les gudwaras et défilés. Des parlementaires sikhs se plaignent de recevoir des menaces des jusqu’au-boutistes. D’autres craignent, en particulier en Colombie-Britannique, que les élus municipaux toujours à la recherche de votes, financent des écoles radicales.
Pendant ce temps, les journalistes qui exercent leur droit en vertu de la Charte d’informer le public sur cette affaire, sont réduits au silence par “la guérilla judiciaire”, les poursuites en libelle diffamatoire qui visent à empêcher les médias de dénoncer le danger croissant.
Dans ce contexte, le Premier ministre indien Manmohan Singh – lui-même un Sikh – a récemment été forcé à requérir du Gouvernement du Canada l’assurance que ce dernier surveillait bien les extrémistes du Canada. Le Canada est en train d’acquérir la réputation d’être un aimant, la maison et un refuge pour les extrémistes.
Que devons-nous espérer trouver dans les prochaines recommandations de la Commission d’enquête sur Air India ? Pour commencer, certaines évidences.
La Commission notera sans aucun doute les problèmes de sécurité et de renseignement inter-agences qui ont plombé les enquêtes autant pré-attentat que durant les premiers stades d’enquête après l’attentat, incluant le défaut de partager et de conserver des preuves délicates. Mais ces faiblesses ont été généralement corrigées durant la génération qui a suivi l’attentat.
Le rapport final devrait englober les avertissements continus du Comité sénatorial sur la sécurité nationale à l’effet que les aéroports canadiens et les avions ne sont pas suffisamment protégés contre l’accès au sol par les terroristes des soutes à bagages des avions et autres compartiments.
La Commission devrait demander une évaluation du radicalisme sikh, dans l’espoir de bloquer les radicaux du financement public et de leur proximité avec les élus, et de renforcer les modérés. Nous n’avons pas besoin de la répétition honteuse des événements communautaires organisés par la GRC comme celui récemment en Colombie-Britannique où on a présenté un érudit islamiste connu pour ses vues extrémistes de la charia justifiant la violence contre les homosexuels.
Il faudrait proscrire légalement la glorification du terrorisme et des organisations terroristes. Les avantages fiscaux accordés aux maisons de culte liées à ce comportement devraient leur être retirés. Les membres du Parlement et autres politiciens qui se frottent en toute connaissance de cause à l’avant-garde terroriste devraient faire face à des processus parlementaires de mise en accusation et de déchéance de leurs fonctions. Les leaders politiques, ceux du monde des affaires, les universitaires, religieux et autres leaders de la communauté doivent comprendre qu’ils trahissent la sécurité des Canadiens lorsqu’ils accordent de la crédibilité à ces groupes de première ligne en les embauchant et travaillant avec eux.
Le débat public est essentiel à la sensibilisation au contreradicalisme et à l’élaboration de politiques publiques pertinentes. La loi sur les recours en dommages devrait être modifiée afin de permettre aux juges de rejeter, tôt dans les procédures, les poursuites judiciaires en libelle diffamatoire qui ne visent qu’à réduire au silence les médias et à aveugler les citoyens sur ce qui se passe dans leur cour. Des organisations comme l’Association canadienne pour les libertés civiles et Amnistie Internationale doivent mettre fin à leur silence, et prendre fait et cause pour les journalistes et les défenseurs de la liberté de parole qui font face aux prédateurs de la liberté de parole et à leur guérilla judiciaire.
Ici, dans le comté de Cork et Ahakista, ils disent que les fleurs si amoureusement entretenues autour de l’imposant monument de pierre noire à la mémoire de la tragédie d’Air India, ont été choisies pour que leur floraison coïncide avec la date anniversaire de la tuerie. Espérons que la prochaine floraison de ces souvenirs permettra la commémoration qui compte vraiment: l’action.
Un Air India suffit.
David B. Harris est avocat et directeur du programme contre le terrorisme, INSIGNIS Strategic Researhc Inc. Il a agi comme conseiller juridique auprès d’un intervenant dans l’enquête sur la tragédie d’Air India, et a été un gestionnaire sénior au Service canadien du renseignement de sécurité, de 1988 à 1990.
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