Note de présentation:
Par Marc Lebuis
Alors que l’augmentation des crimes d’honneur au Canada suscite des débats à savoir si nous devrions avoir des lois pour traiter de cette question, l’édition américaine du magazine Marie-Claire du mois d’août nous présente un dossier sur le crime d’honneur en Amérique. Un dossier particulièrement intéressant puisqu’il est axé sur l’affaire Noor au Texas. Il fait ressortir des nombreux témoignages, des jugements de la cour et des extraits de rapports de police tous les ingrédients qui définissent le crime d’honneur. Sont au rendez-vous: les parents, les membres immédiats et la famille étendue, tous impliqués. En d’autres mots: un père qui tue sa fille, la complicité de la mère et de la famille étendue qui auraient assisté le père en fuite.
Le meurtre d’honneur se distingue clairement du crime « domestique » de par le fait qu’il est non seulement prémédité mais surtout réalisé avec des complices qui sont généralement des membres de la famille rapprochée.
Ce dossier nous rappelle qu’une partie très importante de l’immigration nord américaine, et particulièrement au Canada et au Québec, nous provient, d’un ensemble de pays comme, entre autres, le Pakistan, le Yémen, l’Iran, la Syrie, l’Irak, l’Arabie saoudite, le soudan, la Somalie et le Maghreb. C’est aussi un rappel que notre capacité à faire face à l’augmentation des meurtres d’honneur sera limitée par un dérèglement politico-démographique causé par le nombre élevé de nouveaux arrivants en provenance de ces jurisdictions très radicales.
Malheureusement, la situation va s’aggraver grâce à ce que l’on pourrait qualifier de « Kenneymigration », cette politique de l’actuel ministre de l’Immigration qui fait en sorte d’importer des votes en augmentant de façon tout à fait injustifiée les seuils d’immigration et de réfugiés au niveau le plus élevé au monde per capita. Le Canada est d’ailleurs probablement le seul pays d’immigration à avoir augmenté le nombre d’immigrants en période de ralentissement économique.
Ceci rappelle l’excellent texte du Dr. Farrukh Saleem, un économiste et analyste basé à Islamabad qui a d’ailleurs été publié dans le journal pakistanais The Daily Times du 19 décembre 2007 en réaction au meurtre d’Agsa Parvez à Toronto.
En voici un extrait:
« Le crime d’honneur est notre exportation vers le Canada. […]
Selon le Rapporteur spécial de l’ONU des « crimes d’honneur ont été signalés en Égypte, en Iran, en Jordanie, au Liban, au Maroc, au Pakistan, en Syrie, en Turquie et au Yémen. ». L’Égypte est à 90% musulman, l’Iran à 98%, 92% en Jordanie, 60% au Liban, 99% au Maroc, 97% au Pakistan, 90% en Syrie et 99% en Turquie. Sur les 192 pays membres de l’ONU, la quasi-totalité des crimes d’honneur ont lieu dans neuf pays majoritairement musulmans. Le déni n’est pas une option. »
Vous pouvez lire la suite de son article intitulé Truth and denial, traduit par Point de Bascule en cliquant [ici]
Un crime d’honneur aux États-Unis
Par By Abigail Pesta
Publié dans Marie-Claire, édition du mois août 2010
Adaption française de Honor Killings in America par Point de Bascule
Noor Almaleki était une jeune musulmane qui voulait simplement vivre comme toutes les autres jeunes américaines. Mais chez elle, elle vivait dans un autre monde: un monde pas très agréable. Elle était traitée comme une esclave et contrainte à s’occuper de ses six frères et sœurs plus jeunes. Son père, Faleh Almaleki, 49 ans, était un homme dominateur, très strict qui lui reprochait sans cesse de socialiser avec des hommes et de porter des jeans. Elle devait obéir à ses ordres ou risquer d’être brutalisée. Son père avait prévu de la marier à un homme qu’il avait choisi, mais Noor, avait d’autres plans. Vivant aux États-Unis depuis 16 ans, elle rêvait de devenir institutrice, d’épouser un homme qu’elle aimait et de faire ses propres choix de vie.
En octobre 2009, son père décida de mettre fin à ses rêves. Alors qu’elle se rendait dans un restaurant avec une amie, son père fonça en voiture sur elles, les blessant grièvement avant de s’enfuir.
La police a reconnu qu’il s’agissait d’une tentative de «crime d’honneur»: le meurtre de femmes parce qu’on juge que leur conduite fait honte à leur famille. C’est une attitude profondément enracinée dans les traditions tribales des habitants du Moyen-Orient et de l’Asie. Des femmes sont lapidées, poignardées ou brûlées. L’ONU estime que près de cinq mille femmes sont victimes de crimes d’honneur chaque année.
Ces crimes sont de plus en plus nombreux aux États-Unis. En 2008, deux sœurs, Amina et Sarah Said ont été abattues par leur père parce qu’elles avaient des petits amis. La même année, en Georgie, Sandeela Kanwal, 25 ans a été étranglée par son père qui voulait lui imposer un mari. L’an dernier, Aasiya Hassan, 37 ans, a été décapitée par son mari parce qu’elle voulait divorcer. Et en Illinois, Tawana Thompson, 19 ans, a été abattue par son mari parce qu’il n’aimait pas sa façon de se vêtir.
Chose étonnante, les journaux ont peu parlé de ces crimes parce qu’ils n’y voient généralement que le résultat de querelles familiales ou conjugales. Ces crimes font rarement la manchette. Et comme les meurtriers sont rapidement arrêtés parce qu’ils font partie des familles des victimes, il n’y a pas de longues enquêtes qui attirent l’attention ou suscitent l’intérêt de la presse. En outre, les familles des meurtriers prennent rarement la défense des victimes, estimant qu’elles n’ont eu que ce qu’elles méritaient. « La dernière chose que ces familles veulent, c’est que les journaux parlent de ces crimes » déclare Rana Husseini, une activiste des droits de la personne et auteur de Murder in the Name of Honor. Mais le silence des médias n’empêche pas de constater le fait que les crimes d’honneur se multiplient en Amérique.
Il n’y a pas de doute que Noor a été victime d’un «crime d’honneur». Son cas illustre bien la situation complexe que doivent vivre les jeunes femmes immigrantes ou d’autres cultures, tiraillées entre les valeurs et exigences de la vie moderne et des traditions archaïques qui réduisent leur rôle social.
J’ai décidé de me rendre en Arizona pour essayer de comprendre pourquoi Faleh Almaleki a décidé de tuer sa fille parce qu’elle était devenue trop américaine à son goût – alors que lui-même était devenu récemment citoyen américain.
Les amis les plus proches de Noor étaient très désireux de me parler. Cela ne m’a pas étonné. Même si les crimes d’honneur ne sont pas officiellement sanctionnés par l’islam, on les associe surtout aux pays musulmans parce qu’ils y sont particulièrement fréquents. Pour les amis de Noor, il est clair que son père ne pouvait plus supporter son d’indépendance et son désir d’avoir pour amis des Américains.
Ses parents l’ont convaincue de les accompagner en Irak sous prétexte de rendre visite à un membre de la famille, mais c’était en fait pour lui imposer un mari! On ne sait pas trop si le mariage a bel et bien eu lieu. Certains de ses amis croient qu’elle était seulement fiancée. D’autres pensent qu’on lui a demandé de choisir entre 5 frères. Les parents de Noor ont affirmé qu’elle s’était mariée. Ce qui est certain c’est qu’elle est revenue en Arizona quelques mois plus tard sans mari et est retournée vivre avec sa famille. Ses parents avaient besoin qu’elle s’occupe de ses jeunes frères et sœurs.
Mais au cours des mois suivant son retour d’Irak, le climat chez elle devenait de plus en plus tendu même si elle s’occupait de ses frères et sœurs et poursuivait ses études. La situation est devenue intolérable quand son père a trouvé une photo d’elle avec ses amis: intolérable à tel point qu’elle envisageait constamment de partir. Elle a fini par aller vivre chez une amie, mais elle est retournée chez ses parents parce qu’elle pensait que sa famille d’accueil pouvait avoir des ennuis.
En février 2009, elle fêtait son 20E anniversaire. Après une autre querelle avec ses parents – en plein milieu de la nuit – elle a téléphoné à une amie et lui a demandé de venir la chercher. Elle a sauté dans sa voiture en pyjama alors que son père était à ses trousses.
Au printemps 2009, elle put s’installer dans son propre appartement après avoir trouvé un emploi. Quand ses parents ont su où elle travaillait, ils l’ont harcelée pour qu’elle revienne habiter avec eux. Pour avoir la paix, elle a été forcée de trouver autre emploi, mais ses parents ont réussi à la trouver et elle a dû quitter cet emploi. Sans revenus, elle a finalement été obligée revenir chez ses parents encore une fois.
Le tournant final s’est produit cet été-là. En juin 2009, une vieille amie de la famille, madame Amal Khalaf a découvert Noor dormant dans la camionnette de la famille, stationnée tout près. Noor lui a dit que ses parents l’avaient battue: madame Khalaf, une mère de quatre enfants, a décidé de la prendre sous son aile. Pour la famille de Noor, c’en était trop: leur fille avait choisi de vivre avec une autre famille iraquienne!
Le 20 juillet, les parents de Noor sont entrés dans la maison des Khalaf et se sont mis à frapper sur la porte de sa chambre. Madame Khalaf a composé le 911. Après cet incident, le père de Noor a commencé à harceler régulièrement la famille Khalaf. Reikan, le mari de madame Khalaf, a tenté de lui faire comprendre que Noor était libre de choisir où elle voulait vivre. « Nous sommes en Amérique » lui a-t-il dit. « C’est une liberté que nous avons ici. »
Pour compliquer les choses, Noor devint amoureuse du fils de madame Khalaf. Quand le père de Noor a découvert cela, il l’a prévenue « qu’il lui arriverait quelque chose» si elle ne quittait pas la maison de ses protecteurs. Noor a alors tenté d’obtenir la protection de la cour, mais il semble qu’elle n’ait jamais présenté sa requête.
Le 20 octobre, Noor et madame Khalaf se trouvaient à un bureau d’aide sociale quand le père de Noor est soudainement apparu. Noor fut prise de panique. Les deux femmes essayèrent de quitter les lieux sans qu’il s’en aperçoive et décidèrent d’aller à un restaurant mexicain. C’est alors qu’elles se dirigeaient vers ce restaurant que le père a foncé sur elles avec sa jeep.
Dans les jours qui suivirent, Noor dû subir une opération à la moelle épinière, mais demeura inconsciente, incapable de respirer dans un appareil. La police découvrit que sa mère et son frère Ali avaient tenté d’aider le père à fuir à l’étranger. Évidemment, ils nièrent toute complicité.
Le père réussit à s’enfuir au Mexique puis à se rendre à Londres où il fût arrêté par des douaniers. Neuf jours après la tentative de meurtre, il était ramené aux États-Unis. Interrogé par des détectives, il admit avoir heurté sa fille et madame Khalef, mais déclara: « J’ai perdu le contrôle» et «c’était un accident». Il nia avoir voulu tuer sa fille. «Pourquoi aurais-je voulu la tuer avec un véhicule. Il aurait été plus facile d’acheter une arme. »
Il déclara même que dans sa culture, une fille ne devait jamais quitter la maison de ses parents avant de se marier et qu’elle ne devait pas trop « s’américaniser ». Le détective lui a rappelé que sa fille était adulte et que légalement elle pouvait vivre où bon lui semble. Faleh a comparé sa fille à un « petit feu » qu’il devait éteindre pour empêcher toute sa famille de brûler.
Le 2 novembre 2009, Noor mourut.
« Je ne suis pas un criminel. Je n’ai pas tué quelqu’un au hasard. Je n’ai pas pénétré par infraction dans une maison. Je n’ai rien volé» a déclaré le père à sa femme au cours d’une conversation téléphonique enregistrée par la police. Il lui a proposé d’organiser une manifestation de compatriotes devant le consulat iraquien, puis il a ajouté: «Pour un Iraquien, l’honneur est ce qu’il a de plus précieux….et nous sommes demeurés une société tribale. Je n’ai pas tué un inconnu sur la rue. J’ai essayé de lui donner une chance. »
« Honnêtement, lui répondit sa femme, tu as agi trop rapidement ». Mais plus tard, elle a appuyé son mari lui disant: « Tu n’es pas un criminel. Je sais comme tu as bon cœur et que tu es compatissant. »
Faleh a suggéré à sa femme de trouver une ” échappatoire” pour sa défense:« Tu sais, parle de clan, de tribalisme, quelque chose comme ça. »
« J’espère que nous pouvons dire que tu as des problèmes psychologiques » lui a répondu sa femme. « Tu dois leur dire que je souffre de problèmes mentaux à cause de la guerre, quelque chose comme cela. »
Au moment où je rédigeais cet article, Faleh Almaleki attendait son procès en prison, accusé de meurtre avec préméditation, de voie de fait grave et de délit de fuite: accusations auxquelles il a plaidé non coupable.
La police envisageait de porter des accusations d’aide à un fugitif contre sa femme, son fils Ali et son cousin Jamil. (Faleh a déclaré à la police que Jamil lui avait envoyé de l’argent au Mexique, ce qu’a nié Jamil. Quant à madame Amal Khalaf, elle était toujours soignée pour une fracture du bassin à l’hôpital.
Il y a beaucoup de choses dans l’histoire de Noor que des millions d’immigrants peuvent comprendre. L’histoire de générations d’immigrants qui cherchent à se débarrasser de vieilles coutumes fait parti de l’expérience américaine. Rudabeh Shahbazi, d’origine iranienne et vedette de la télévision américaine, le sait trop bien. Elle a grandi aux États-Unis mais a passé plusieurs étés avec son père en Iran. « Il est difficile de savoir ce qui convient dans les deux mondes» a-t-elle déclaré. «Est-on trop américaine ou pas assez? »
Les amies de Noor continuent de parler d’elle sur sa page Facebook. L’une d’elle m’a dit:« ‘Noor’ signifie lumière en arabe. »
Abigail Pesta est une chroniqueuse de Marie Claire