Par Fabrice de Pierrebourg, Rue Frontenac, publié lundi le 1er juin 2009
Fabrice de Pierrebourg est l’auteur de Montréalistan
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Infatigable, le Montréalais Adil Charkaoui entame lundi soir à la faculté de droit d’Halifax une tournée canadienne d’information et de dénonciation des controversés certificats de sécurité.
«Je veux relancer la campagne contre les certificats, parler de ma vie et blanchir ma réputation», confie-t-il en entrevue à RueFrontenac.com depuis la capitale de La Nouvelle-Écosse.
Le Montréalais, père de trois enfants, rappelle que malgré le fait qu’il ne soit accusé de rien, il doit vivre avec ce fardeau qui lui a notamment coûté son emploi de professeur de français. Ceci depuis que la ministre Michelle Courchesne lui a retiré son permis d’enseigner.
Ce pèlerinage le mènera, bracelet GPS rivé à la cheville, entre autres à Fredericton, Toronto et Vancouver jusqu’à la fin du mois de juin. Une tournée rendue possible après que la juge de la Cour fédérale Danièle Tremblay-Lamer eut considérablement assoupli, en février dernier, ses conditions de libération. Adil Charkaoui peut en effet par exemple se déplacer seul, et se servir d’un téléphone et d’un ordinateur.
Adil Charkaoui est l’objet d’un premier certificat de sécurité depuis mai 2003, puis d’un second en février 2008, parce que les autorités «ont des motifs raisonnables de croire» qu’il «est ou a été membre du réseau Al-Qaida» et qu’il «a discuté la planification d’attentats terroristes».
Cette disposition de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) signifie l’interdiction de territoire pour la personne visée et donc l’expulsion vers son pays d’origine. Avec les risques que cela implique lorsque le pays en question bafoue les droits de l’homme et pratique la torture.
Bataille judiciaire tous azimuts
Depuis son arrestation sur l’autoroute 20 à Montréal le 21 mai 2003 et son incarcération qui a suivi, Adil Charkaoui a entamé une longue et complexe bataille judiciaire tant en cour fédérale que devant la plus haute instance du pays, la Cour suprême.
Celle-ci lui a d’ailleurs donné raison à deux reprises. D’abord en février 2007, en déclarant les certificats de sécurité inconstitutionnels sur certains points. Une décision qui a forcé le gouvernement et ses avocats à revoir leur copie dans un délai d’un an et à présenter en février 2008 une nouvelle mouture sous le nom de Loi C-3.
Celle-ci prévoit de nouvelles dispositions, en particulier l’entrée en scène d’un avocat dit «spécial» pour assister la personne mise en cause. Celui-ci a accès à toute la preuve, même celle dite «secrète», mais ne peut communiquer ni avec la personne visée, ni ses avocats habituels.
Notes détruites
En juin 2008, les neuf juges de la Cour suprême ont de nouveau donné un coup de pouce à Charkaoui en statuant que le SCRS avait erré en détruisant après transcription ses notes opérationnelles et autres «preuves» qui concernaient le Montréalais d’origine marocaine en vertu de sa politique interne OPS-217.
« … afin de respecter le droit à l’équité procédurale des personnes telles que M. Charkaoui, le SCRS devrait être tenu de conserver l’ensemble des renseignements dont il dispose et de les divulguer aux ministres ainsi qu’au juge désigné, écrivent les juges. Ces derniers seront à leur tour responsables de vérifier l’information qui leur est remise.» Les magistrats ont néanmoins rejeté la demande d’arrêt des procédures déposée par le Montréalais.
En cour fédérale le 8 juin
Le SCRS a obtenu par la suite, à la fin du mois d’octobre dernier, un délai de grâce de six mois avant de présenter au juge de la Cour fédérale une nouvelle preuve exhaustive et non un simple résumé. De leur côté, Adil Charkaoui et ses deux avocates veulent avoir accès à ces éléments avant qu’ils ne soient déposés et éventuellement rendus publics.
Mais selon Adil Charkaoui, de nouveaux éléments se sont ajoutés récemment à son dossier déjà plus que complexe. Il dénonce ce qu’il appelle «une série d’abus» de la part du SCRS, en particulier le «caviardage de la majeure partie de la preuve transmise» à l’avocat spécial, ainsi que le retrait de toutes les preuves relatives aux interceptions électroniques de ses conversations. Soit près de 3500 documents, dit-il.
Devant ce qu’il interprète comme un «refus des ministres (sécurité publique et immigration) de respecter une ordonnance de la Cour fédérale», Adil Charkaoui confie à RueFrontenac.com qu’il se présentera devant la justice le 8 juin prochain. Éventuellement pour demander à nouveau un arrêt des procédures. «Ils ne veulent pas me laisser vivre, déplore le Montréalais. Vraiment, ce dossier commence à sentir mauvais.»
Le SCRS n’a pas souhaité émettre de commentaires, ni répondre aux questions de RueFrontenac, sachant que la cause est devant les tribunaux.
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