Le programme Éthique et culture religieuse proposé par le ministère de l’Éducation fait couler beaucoup d’encre. Il suscite l’opposition des parents catholiques, des athées et du Mouvement laïque québécois. Ces débats sur le modèle de laïcité ouverte à l’école préfigurent ceux qui accompagneront la sortie prochaine du rapport de la Commission Bouchard-Taylor, dont on s’attend qu’il prônera ce même modèle pour l’ensemble des institutions.
Le point de vue de Point de BASCULE
Écoutez le vidéo affiché sur notre site (ici). Vous comprendrez les raisons pour lesquelles nous croyons que l’islam n’a pas sa place dans un cours d’«éthique». C’est que le modèle de conduite proposé par Mahomet est immoral et incompatible avec les valeurs éthiques de notre société.
Les parents catholiques s’organisent
Du côté des parents catholiques, un mouvement d’«objecteurs de conscience» prend forme. La Tribune de Sherbrooke rapporte (ici) que des parents relevant de la Commission scolaire de Sherbrooke ont présenté des demandes visant à faire exempter leurs enfants de ce cours pour l’année scolaire 2008-2009. Des procédures judiciaires seront possiblement engagées.
Ces parents suivent de près les développements juridiques en Espagne, où un tribunal a statué qu’il existe bien un droit à l’objection de conscience et que ce droit «fait partie intégrante du droit fondamental à la liberté idéologique et religieuse». Ce jugement a été rendu dans des procédures intentées par des parents opposés au cours d’Éducation civique pour des raisons philosophiques et religieuses. Ils voient ce cours comme un véhicule de propagation de l’idéologie post-moderne qui induit au relativisme moral.
Le sociologue Mathieu Bock-Côté : une idéologie utopiste
Mathieu Bock-Côté, dont nous avons publié un article il y a quelques jours (ici), voit dans le programme proposé l’expression caricaturale du dévoiement progressiste de l’école placée au service de l’idéologie multiculturelle utopiste qui inculquera une véritable haine de soi à une jeunesse devenue étrangère à sa propre culture. «Toute la mentalité politiquement correcte s’y trouve : avant, la grande noirceur du Québec historique, ensuite, l’illumination par la raison pluraliste. Quant à la référence au « dialogue » sans cesse reprise, elle vise en fait à neutraliser la conscience nationale par le virus d’une impuissance culpabilisante qui dissuade la majorité de vouloir poser sa culture comme norme de l’existence commune».
Point de vue des parents athées
Pour l’éditorialiste Nathalie Collard du quotidien La Presse, «la transition de l’école confessionnelle à l’école laïque ne se fera pas sans heurts». Ci-dessous, des extraits de son édito du 28 janvier intitulé Y croire ou pas:
Plusieurs aspects de ce cours laissent toutefois songeur, à commencer par la place réservée à l’athéisme. Au Québec, selon le dernier recensement, plus de 5% des gens déclarent n’appartenir à aucune religion. Et c’est sans compter ceux qui, parmi les 80% et plus de catholiques romains, ne se considèrent plus comme croyants. (…)
Mais c’est au primaire que les implications de ce nouveau cours risquent d’être plus dommageables. Que dira-ton aux enfants lorsque viendra le temps d’aborder la question de la non-croyance? (Pour compliquer les choses, le mot «athéisme» ne fera pas partie du vocabulaire employé dans les manuels. Dans un excès de rectitude politique qui frise le ridicule, le Ministère a jugé que ce terme était péjoratif)
Au Ministère, on répond que lors d’une discussion sur la naissance, par exemple, l’enseignant pourrait aborder les différents rites tout en faisant une place à ceux qui ne pratiquent pas. L’enfant baptisé pourrait apporter la bougie de son baptême, et celui qui n’a pas été baptisé raconterait que ses parents avaient tout de même organisé une petite fête…
Cet exemple illustre parfaitement le coeur du problème: le nouveau cours créé un contexte où l’enfant doit se positionner et se définir par rapport à une religion. L’identité de l’Autre reposera en partie sur son appartenance religieuse. Résultat: ce qu’il risque de retenir, c’est que son copain Mohamed est musulman et que la petite Noémie est catholique. N’est-ce pas trahir l’esprit de la loi sur la laïcité qui devrait faire de l’école un espace neutre, sans référence au religieux? Les religions devraient être enseignées dans un cours d’histoire. C’est l’objectif que doit viser le ministère de l’Éducation s’il souhaite vraiment une école laïque.
Opposition du Mouvement laïque québécois
Le Mouvement laïque québécois a publié un article critique du nouveau cours dans le numéro 11 de Cité laïque: La laïcisation du système scolaire n’aura pas lieu… par Marie-Michelle Poisson. Nous reproduisons de larges extraits:
En septembre 2008 il y aura objectivement davantage de religion à l’école qu’il n’y en avait en 2000 au moment de l’adoption du projet de loi 118 abrogeant le statut confessionnel des écoles publiques du Québec.
Davantage de religion d’abord à cause du temps d’enseignement consacré à une nouvelle discipline nommée «enseignement culturel des religions» qui couvrira l’ensemble du primaire et du secondaire.
Enseignement culturel des religions
Cette discipline exposera tous les élèves à un éventail plus large de dénominations religieuses dont une prépondérance prescrite accordée au christianisme. Dans l’ancien régime d’option, uniquement les élèves dont les parents avaient choisi l’enseignement religieux étaient exposés à une confession, et celle là était exclusivement catholique.
Service d’animation à la vie spirituelle
Davantage de religion aussi à cause de la création d’un nouveau service éducatif complémentaire d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire (SAVSEC) offert obligatoirement dans toutes les écoles, primaires et secondaires. Avant 2000, le service d’animation pastorale n’était présent que dans certaines écoles du réseau catholique de niveau secondaire et tendait à disparaître dans certains milieux faute de participants et aucun service de pastorale entièrement financé par l’État n’existait au primaire.
Maîtres d’oeuvre du programme: des lobbies pro-religion
L’essentiel de la formation spécialisée des professeurs de culture religieuse ainsi que des animateurs de vie spirituelle sera assumée par les facultés universitaires de théologie et de sciences des religions.
En 2000, les postes de sous-ministre associés et les comités catholiques et protestants ont été abolis et remplacés par le Secrétariat aux affaires religieuses (SAR) et le Comité sur les affaires religieuses (CAR) qui veillent depuis au processus de déconfessionnalisation du système scolaire et sont considérés, selon le coordonnateur actuel du SAR, M. Roger Boisvert, comme les maîtres d’œuvre du nouveau programme d’Éthique et Culture religieuse (ECR) et du SAVSEC.
Ceux qui souhaitent une laïcisation effective du système scolaire québécois auraient tout intérêt à examiner de plus près les activités du SAR et du CAR puisque, au vu de ces résultats, tout porte à croire que le SAR et le CAR se comportent comme des lobbys pro-religieux au sein du Ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports (MELS). (…)
Comité sur les affaires religieuses
Le CAR est constitué de 13 personnes nommées par le ministre de l’Éducation dont au moins le tiers sont des personnes provenant de facultés universitaires de théologie et de sciences religieuses. (…)
Le CAR a publié plusieurs avis au ministre de l’Éducation. Ces avis sont tous disponibles sur le site internet du MELS. L’avis de 2003, intitulé La formation des maîtres dans le domaine du développement personnel : une crise symptomatique fait un constat alarmant. Dans l’attente des décisions ministérielles, l’appréhension est si grande quant au sort des cours de morale et de religion que des départements de théologie et de sciences religieuses offrant la formation disciplinaire aux futurs maîtres ont dû fermer leurs portes ou étaient menacés de fermeture. La situation, déjà critique en 2002, serait pire encore si l’enseignement religieux devait être réduit ou aboli définitivement.
Une manne pour les facultés de théologie et de sciences religieuses
En proposant au ministre de créer une nouvelle discipline appelée «culture religieuse» et un nouveau service d’animation spirituelle, tous deux désormais dispensés obligatoirement à toutes les clientèles tout au long du primaire et du secondaire, le CAR, qui a aussi le mandat de veiller à l’élaboration des plans de formation des futurs professeurs d’ECR et des animateurs de vie spirituelle, a assuré la survie des facultés universitaires de théologie et de sciences religieuses jadis menacées de fermeture.
Certains professeurs de théologie et de sciences religieuses sont aussi consultés à titre de personnes-ressources lorsque le CAR est mandaté pour mener des consultations sur les nouveaux programmes ECR. Faut-il s’étonner si ces experts se montrent souvent nettement plus en faveur des compétences de culture religieuse et en attendent de meilleurs résultats que les groupes sociaux ou religieux consultés, souvent plus sceptiques ou critiques quant à la pertinence de cet enseignement sur une si longue période et si tôt dans le développement de l’enfant ?
Modèle de laïcité ouverte de l’école publique
Depuis qu’elle a quitté ses fonctions de secrétaire aux affaires religieuses, Mme Cadrin-Pelletier a rédigé les deux plus importants avis du CAR, soit: La laïcité scolaire au Québec. Un nécessaire changement de culture institutionnelle (octobre 2006) et Le cheminement spirituel des élèves. Un défi pour l’école laïque (février 2007).
Le premier document prétend définir, en cinq points, le «modèle de laïcité ouverte de l’école publique québécoise» auquel la majorité des québécois est sensée adhérer.
Selon Henri Pena-Ruiz, «la laïcité ouverte est une notion polémique tournée contre la laïcité dont elle suggère qu’appliquée rigoureusement elle serait un principe de fermeture. ( …) Dans la bouche des certains détracteurs de la laïcité «ouvrir la laïcité» signifie restaurer des emprises publiques pour les religions». (Flammarion 2003).
Idéologie véhiculée par le CAR
Le deuxième document s’évertue à démontrer comment et pourquoi «faciliter le cheminement spirituel de l’élève» est un rôle fondamental de l’école. Depuis leur parution ces deux avis font l’objet d’une campagne de communication active menée par le CAR auprès de toutes les instances jouant un rôle en matière d’éducation (groupes religieux, associations de parents d’élèves, syndicats, associations professionnelles, commissions de consultation, etc.).
L’idéologie véhiculée par le CAR est déjà perceptible dans plusieurs milieux et il y a de fortes chances, étant donnée la notoriété croissante du CAR, que les opinions exprimées dans ces deux documents constituent l’essentiel des conclusions du rapport de la Commission Bouchard-Taylor concernant la place de la religion à l’école.
Une rencontre organisée par le CAR est d’ailleurs prévue le 16 avril prochain à Laval dans le but de faciliter la réception et la mise en œuvre du programme Éthique et culture religieuse auprès de la catégorie de citoyens la plus importante numériquement après les catholiques; la catégorie de ceux qui ne se réclament d’aucune religion.
Que dire de cette laïcité ouverte?
Est-ce que le modèle québécois de «laïcité ouverte» tel que défini et promu par le SAR et le CAR est vraiment le type de laïcité qui convient à une société qui se veut moderne et démocratique ? Que dire de cette laïcité tellement «ouverte» au «fait religieux» qu’elle donne paradoxalement plus de place aux phénomènes religieux dans le système scolaire en 2008 qu’ils n’en avaient en 2000 ?
Que dire de cette laïcité dont les premiers bénéficiaires objectifs sont d’abord et avant tout les facultés de théologie et de sciences religieuses ?
Si le comité sur les affaires religieuses avait réuni une plus grande diversité d’experts indépendants, il eut été possible que ceux-ci préconisent un autre «modèle de laïcité de l’école québécoise» comportant un enseignement plutôt «transversal» de la culture religieuse via certaines disciplines existantes comme l’histoire, la géographie, la littérature ou les arts sans qu’il n’y ait nécessité de créer une nouvelle discipline.
Pourquoi donner tant de place à la culture religieuse?
Un large débat public mené ouvertement aurait sans doute démontré qu’une majorité de québécois pensent qu’il n’est aucunement du ressort de l’école de «faciliter le cheminement spirituel de l’élève», que le Service d’animation spirituel et d’engagement communautaire n’a pas de raison d’être et que l’État n’a donc pas l’obligation de financer un tel service.
Pourquoi la culture religieuse est-elle devenue tout à coup plus importante que la culture scientifique, la culture philosophique, la culture artistique, la culture musicale ou encore l’éducation à l’économie ? Est-ce que seule la culture religieuse permet de comprendre la société québécoise actuelle ?
Est-ce que seule la culture religieuse permet de donner du sens à l’existence et de favoriser le «vivre-ensemble» ? Certainement pas. Mais alors pourquoi la culture religieuse prend-elle tant de place en regard des autres formes de culture tout aussi essentielles au développement des enfants ?
Est-ce qu’un comité d’experts constitué de psychologues de la petite enfance aurait trouvé souhaitable que de jeunes enfants soient exposés si tôt à la diversité des cultures religieuses ? Est-ce qu’un comité d’experts constitué de philosophes aurait trouvé adéquat que l’éthique et la culture religieuse se retrouvent dans un seul et même programme avec les risques d’amalgame conceptuel que cela comporte ?
Abolir le SAR et le CAR
Est-ce qu’un comité d’experts constitué de gestionnaires scolaires aurait jugé pertinent qu’une large part des ressources allouées aux services éducatifs complémentaires soient consacrés au SAVSEC plutôt qu’à des services de psychologie ou d’orthophonie ?
Est-ce que les jeunes générations souhaitent vraiment perpétuer la multiplicité des différences culturelles et religieuses héritées de leurs parents ou ne sont-elles pas plus intéressées à construire une société nouvelle à partir de bases communes et universelles ? Leur a-t-on seulement demandé? (…)
L’abolition du SAR et du CAR permettrait enfin une réelle ouverture du débat pour une laïcité authentique.
Voir aussi:
Le multiculturalisme, un utopisme malfaisant